J’ai été successivement instituteur, éducateur, travailleur social, formateur et psychothérapeute. Ma retraite me permet de prendre du recul par rapport aux professions de l’éducatif, de la santé, du social. Je me suis toujours méfié des cloisonnements, des fausses spécialisations.
Quand il s’agit de travailler avec la pâte humaine, la relation (qu’il ne faut pas réduire à la communication) sert de vecteur à toute tâche et tout apprentissage.
Les fonctions d’élever, de favoriser le grandissement d’un être, et son ouverture aux autres, au monde et à lui-même, l’aider au changement, J’accompagner, Je soigner (prendre soin), s’exercent dans des situations diverses qui ne sont pas concurrentes mais complémentaires. Comme les frontières des pays colonisés, les délimitations administratives et budgétaires ne reflètent pas toujours les réalités des populations concernées.
Le devenir et le bien-être des enfants, adolescents, jeunes adultes, personnes âgées, est arbitrairement découpé en tranches et en ministères. Santé, Action sociale, Education Nationale, Justice.
La transversalité entre ces domaines est souvent impossible, en dehors de partenariats bricolés sur le terrain par des acteurs têtus.
Un père alcoolique, chômeur en fin de droit, et sorti de prison appartient-il à la Justice, aux Affaires sociales ou au secteur de la Santé mentale ? Pour peu qu’il soit basané, le secrétariat à l’intégration devrait aussi le prendre sous son aile, tout en attirant J’attention des spécialistes de la lutte contre l’exclusion...
Son fils, qui présente un retard scolaire important et commence, par des passages à l’actes, à signaler sa souffrance, va-t-il être exclu du milieu scolaire, fiché dans Je répertoire des populations à risques, convoqué par le juge des enfants, examiné par un psychologue scolaire, un psychiatre, placé dans un établissement spécialisé ?
Pour rester sur le seul plan scolaire, les enseignants savent bien que les blocages d’apprentissage ont une cause plus profonde. Il leur est proposé de passer la main « au social », ou au « médico-psychologique », voire au répressif, pour relayer leur action. Il pourrait être plus productif de les aider à maintenir l’enfant dans le circuit scolaire, en réseau avec d’autres professionnels.
L’Education Nationale délivre un diplôme d’Etat d’Educateur spécialisé. Mais elle n’en embauche pas. Elle ne parle que de ses « enseignants » comme du temps de l’Instruction Publique. Comme si l’éducation devait être réduite à la distribution d’un savoir, répertorié en « matières », en « disciplines ».
On invite les enseignants, les parents, à réfléchir sur la mission de l’école.
Ailleurs, on s’interroge sur la Santé, la Culture, la Sécurité, l’ Action sociale.
Comme si tous ces domaines n’étaient pas en constante interaction. La première socialisation, après celle, parfois déficiente, de la famille, commence à l’Ecole maternelle.
La civilité, la citoyenneté ne sont pas seulement des matières au programme. Elles relèvent aussi des données de base de tout apprentissage. Décentration, découverte de l’altérité, travail sur la Loi, sur la Parole et l’écoute, curiosité, créativité, ces caractéristiques de la « machine à penser » fondent aussi bien les invariants mathématiques, les règles de grammaire et d ’ orthographe, que la recherche scientifique.
Pour apprendre à lire, il faut être en lien avec un autrui intériorisé. Il faut avoir un sentiment d’appartenance Une motivation à découvrir, dans la sécurité d’une relation positive. En ce cas, toute méthode, toue technique d’apprentissage est opérante.
Les Etats généraux du social, mouvement de grande ampleur qui cherche à rassembler tous les acteurs engagés dans une démarche de développement et d’acculturation des citoyens, invitent les enseignants du premier, du second degré, les chercheurs et les universitaires, à se joindre à nous.
Les premiers travailleurs sociaux, et de loin les plus nombreux, ce sont eux, les enseignants, fantassins de la République, « instituteurs » de la société démocratique future.
Travaillons ensemble dans ce sens.
A mieux nous connaître, à mieux coopérer, nous serons plus forts pour ne pas nous laisser enfermer dans des tours institutionnelles entre lesquelles les sujets les plus démunis restent dramatiquement en errance.