Dans le cadre de l’exercice des mesures éducatives, une question demeure pierre d’achoppement, de manière récurrente, à la fois pour les philosophies d’intervention, les stratégies à l’oeuvre, comme les techniques usitées : il s’agit de la question du placement d’enfant(s). Faut-il considérer ce phénomène comme faisant partie intégrante du processus éducatif de protection de l’enfance, notamment en milieu ouvert, comme une étape intermédiaire dans la chaîne continue des réponses apportées aux difficultés de l’enfance en danger, ou bien le situer au contraire aux frontières de celui-ci ?
A propos de suppléer ou substituer, Lionel JULIENNE interroge la place faite à la famille lorsqu‘un placement est prononcé. Il revisite l’histoire des placements d’enfants. Il s’inquiète des orientations actuelles en terme de contractualisation des placements, qui pourrait conduire à entrer dans la marchandisation du travail social...
Pour lui « l’ordre des choses ne peut se réduire à la rationalité du droit, de la règle, des codes. Il y a toujours de l’informel, de l’implicite et aussi de l’affect qui viennent interroger ce qu’il faut mettre au travail ».
Interroger la notion de placement ne revient-il pas à interroger la question des places : de l’enfant, de la famille, du contexte de vie ?... Comme celle de déplacement ou de séparation ?
Nicolas PERALDI, psychologue, psychanalyste, questionne le terme de placement, le sens étymologique de ce mot, ce qu’il évoque dans l’histoire de la langue française. Cela renvoie à la question de la place de l’individu concerné ce qu’il illustre à travers la présentation de la situation d’un jeune dans le cadre de l’association Métabole... Nous invitant à nous méfier de la référence aux besoins de l’enfant, il appréhende le placement dans une dynamique de « surtout ne pas nuire ».
Dans la même logique d’interrogation de la notion même de placement, M. CHAPONNAIS indique que « le placement est un formidable outil de changement pour l’enfant et sa famille ».
Il questionne les expériences d’accueil séquentiels, le fait que certaines réponses se posent désormais à partir des risques que cela fait encourir à la famille plus qu’à l’enfant, en disant qu’il faut « admettre que toute les compétences ne sont pas mobilisables à l’instant, au moment où l’enfant en a besoin ».
Denis VERNADAT, au contraire, nous présente un projet alternatif au placement, sous forme d’« un système d’AEMO étendues » avec un accord de partenariat avec un foyer d’accueil ou un service de placement familial qui pourraient accueillir un enfant pour une durée maximale de 72 heures...
L’idée est de faire, en cas de crise, vivre le précepte suivant : « séparer pour ne pas placer ».
Cette question du placement nous amène forcément à revisiter les fondements des politiques de protection de l’enfance en danger et leurs présupposés idéologiques.
Nul doute que le placement n’échappe pas aux représentations diverses, parfois même opposées à l’oeuvre dans le travail social, qu’il soit considéré comme la solution ou comme le problème à une situation donnée en un temps déterminé.
Cette question est-elle travaillée collectivement dans les services : ces interrogations ne sont-elles pas liées à des phénomènes d’insécurité personnelle ou d’appréciation individuelle ? Les acteurs sociaux ne se posent-ils pas parfois,dans leurs évaluations et préconisations à la place du juge ?
En critiquant le projet de loi de Mme MARTINEZ, Jean MICK fait part de la prudence qui doit prévaloir non seulement en amont des décisions mais aussi dans la façon de gérer le temps de la séparation. Il défend le principe selon lequel le placement de l’enfant « doit prendre sens dans le cadre d’un projet de vie qui ne déqualifie pas les parents, ni ne les éloigne de lui de façon irréductible ».
L‘association ATD Quart Monde, à partir d’une recherche européenne, fait le lien entre situation de pauvreté et mesures de placement des enfants qui selon ATD sont majoritaires dans ces milieux vivant des situations de grande précarité. Elle appelle à modifier les regards, à tenir davantage compte des aspirations des personnes comme des ressources du groupe familial, en encourageant des expériences qui favorisent la « continuité familiale ». Les parents doivent être positionnés de manière à maîtriser le processus d’aide qui leur est offert en tant que premiers acteurs des mesures qui concernent leurs enfants.
A quelle commande, quelle représentation des limites de l’exercice de la parentalité répond ce choix sociétal ? Comment les services AEMO s’approprient-ils à leur niveau cette idée de l’éloignement de l’enfant de sa famille ?
Thierry CAZEJUST, pédopsychiatre, rappelle la nécessité de l’élaboration psychique pour les travailleurs sociaux « avec l’étayage d’un environnement institutionnel facilitant », pour ne pas les figer dans des réactions défensives inadéquates .Pour lui « l’acte de placement se construit par la parole, celle qui a précédé le placement dans le rôle de témoin secourable débutant le travail de distanciation psychique »...
Jean-Louis BORNIER se voulant un rien provocateur évoque, quant à lui, la question de l’échec auquel renvoie cette mise en situation de devoir éloigner un enfant de ses parents, que ce soit du coté des « déficiences » parentales comme du coté des mécanismes sociaux de protection en amont. Il nous dit qu’« il n’y a pas de certitudes dans l’efficacité des choix humains » et qu’un placement c’est tout à la fois : « un déplacement, un remplacement, un placement au sens de l’investissement pour l’avenir ».
Laurent CAMBON, docteur en sciences du langage, à travers une méthode sociolinguistique, analyse cinq rapports éducatifs rédigés en vue de provoquer un placement. Il analyse les stratégies de communication à l’oeuvre, interroge les représentations professionnelles...et nous invite à clarifier la posture d’où l’on parle pour communiquer du mieux possible sur cette question...
Mais au fait comment se vit une situation de placement de son enfant de l’intérieur ?
Mme Ingrid C. nous explique comment elle a vécu douloureusement cette situation pour son seul fils, dont son compagnon et elle ont été séparés une veille de Noël et comment, avec l’aide de professionnels de l’enfance, ils ont pu dépasser cet événement après la restitution de celui-ci et retrouver leur sérénité de parents...
Sur des terrains quelque peu explorés ci-avant, Annick GRESSET-VEYS après nous avoir rappelé le contexte des lois qui régissent le placement, questionne à son tour, les idéologies comme le propre parcours des travailleurs sociaux dans la manière de penser la séparation. Pour elle « l’imaginaire des intervenants envahit la réflexion, au détriment d’une évaluation objective de la situation et de ses répercutions sur l’enfant ». Elle affirme que « le placement devrait être un support pour permettre aux parents d’investir, sur un mode plus adapté, les attributs de leur fonction parentale et de se centrer sur l’intérêt de leur enfant »...
Ce dossier ainsi positionné peut nous permettre d’appréhender comment, d’un point de vue éthique, philosophique, politique ou technique contextualiser cette question toujours délicate du placement d’un enfant hors de sa famille...