I. - D’où vient l’administrateur ad hoc ?
En droit français, le mineur [8] est un « incapable », c’est-à-dire une personne qui, tout en étant titulaire de droits, n’a pas, en raison de son âge (et donc de son manque de maturité), l’aptitude de les exercer. Le système qui lui est applicable a pour finalité, non pas de le priver de droits, contresens fréquent dans les discours sur les droits de l’enfant, mais au contraire de le protéger [9] : dans ce but, sa personne est régie par les mécanismes de l’autorité parentale, et ses biens par ceux de l’administration légale, qui emporte mission de représentation légale.
C’est l’administrateur légal (aujourd’hui le(s) titulaire(s) de l’exercice de l’autorité parentale) qui représente le mineur dans tous les actes civils [10]. Dans le cadre de cette notion - juridique - de représentation, les hypothèses de conflit d’intérêt entre représentant et représenté ne sont pas nouvelles, et des solutions juridiques existent donc depuis longtemps. S’agissant de la représentation d’un mineur par son représentant légal, si l’identité d’intérêts entre l’enfant et ses parents est présumée, et si la seule hypothèse expressément prévue par le Code Napoléon en 1804 est celle du désaveu de paternité par le mari de la mère [11], il a toujours existé d’autres cas où la désignation d’un « représentant spécial » est nécessaire. En 1910 apparaît dans le Code civil l’article 389-3 [12], selon lequel « l’administrateur légal représente le mineur dans tous les actes civils, sauf les cas dans lesquels la loi ou l’usage autorise les mineurs à agir eux-mêmes. Quand ses intérêts sont en opposition avec ceux du mineur, il doit faire nommer un administrateur ad hoc par le juge des tutelles ». Il s’agissait généralement de problèmes de succession ou de partage, ou de procès de filiation. Le choix de l’administrateur ad hoc était laissé au juge, qui pouvait désigner un membre de la famille du mineur, ou toute personne de son choix, ce qui n’était pas toujours aisé [13].
Jusque là, les choses étaient donc simples : l’administrateur ad hoc, dans le contexte civil des incapacités, remplaçait [14] ponctuellement (« ad hoc », littéralement « pour cela » [15]) l’administrateur légal d’un mineur, pour accomplir un acte précis, dans un cadre fixé (en principe) par la décision du juge qui l’avait nommé, et avec faculté en cas de doute d’en référer à ce magistrat. Ce cadre était utilisé, de façon prétorienne, dans les affaires civiles et pénales, lorsque les magistrats constataient que les intérêts d’un mineur étaient en opposition avec ceux de son représentant légal. Ils prenaient alors l’initiative de susciter la désignation d’un administrateur ad hoc, ce à quoi le représentant légal s’opposait rarement, pour ne pas dire jamais.
Mais les choses ne vont pas tarder à se compliquer. En effet, à côté de cette institution bien rodée, qui est conservée, est apparu un nouveau venu. Ainsi, sous la pression du mouvement d’opinion en faveur des victimes [16], conjugué à celui de la promotion des droits de l’enfant, le législateur est intervenu, d’abord en 1989, pour introduire officiellement l’administrateur ad hoc dans la procédure pénale, afin de mieux assurer la défense du mineur victime de ses parents, titulaires de l’autorité parentale : c’est l’article 87-1 du Code de procédure pénale (issu de la loi du 10 juillet 1989 « relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance ») qui donne au juge d’instruction saisi de faits commis volontairement à l’encontre d’un enfant mineur par les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale (ou par l’un d’entre eux) la possibilité [17] de désigner un administrateur ad hoc « pour exercer, s’il y a lieu, au nom de l’enfant, les droits reconnus à la partie civile ». Cet article, assez mal rédigé, a donné lieu à des applications divergentes, qui ont d’ailleurs conduit la Cour de cassation en 1996 à réaffirmer que le recours à l’article 388-2 ou à l’article 389-3 du Code civil, textes généraux, permettait cette désignation pour les enfants victimes d’un adulte non investi de l’autorité parentale à leur égard [18]. Ces deux articles avaient été, pour le premier, introduit dans le Code civil, et pour le second, modifié, par la loi du 8 janvier 1993 « réformant l’état civil, le droit de la famille et créant le juge aux affaires familiales ». En effet, pour satisfaire aux principes posés par la Convention internationale des droits de l’enfant, adoptée à New York en 1989 par les Nations Unies et ratifiée en 1990 par la France, le législateur français a introduit dans le Code civil un nouvel article 388-1, qui impose l’audition de l’enfant qui en fait la demande dans toute procédure le concernant [19], seul, avec un avocat ou toute personne de son choix [20], et un article 388-2, qui dispose que « lorsque, dans une procédure, les intérêts d’un mineur apparaissent en opposition avec ceux de ses représentants légaux, le juge des tutelles, dans les conditions prévues par l’article 389-3, ou à défaut le juge saisi de l’instance, lui désigne un administrateur ad hoc chargé de le représenter ». Le même souci de mieux protéger les enfants, et la prise de conscience du fait que les parents ne remplissent pas toujours leur rôle de la façon la plus adéquate, ont conduit à compléter l’article 389-3 du Code civil par une phrase prévoyant que « à défaut de diligence de l’administrateur légal, le juge peut procéder à cette nomination à la demande du ministère public, du mineur [21] ou d’office ».
L’évolution législative s’est poursuivie avec la loi du 17 juin 1998 « relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles commises sur les mineurs », qui a abrogé l’article 87-1 du Code de procédure pénale et l’a remplacé par l’article 706-50 du même Code, qui dispose que « le procureur de la République ou le juge d’instruction, saisi de faits commis volontairement à l’encontre d’un mineur, désigne un administrateur ad hoc lorsque la protection des intérêts de celui-ci n’est pas complètement assurée par ses représentants légaux ou l’un d’entre eux ». Enfin, le décret du 16 septembre 1999 a parachevé l’édifice en prévoyant les modalités de désignation et de rémunération de l’administrateur ad hoc, tant en matière pénale que civile.
Il faut également signaler que la loi du 4 mars 2002 « relative à l’autorité parentale » a modifié l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, en imposant au procureur de la République, « en l’absence d’un représentant légal accompagnant le mineur placé en zone d’attente, de lui désigner sans délai un administrateur ad hoc ».
Celui-ci est chargé d’assister le mineur durant son maintien en zone d’attente, et d’assurer sa représentation dans toutes les procédures administratives et juridictionnelles relatives à ce maintien - et dans toutes les procédures afférentes à son entrée sur le territoire national ou relatives à la demande de reconnaissance de la qualité de réfugié, dans le cadre de la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile.
Le décret d’application de cette loi, qui devra notamment définir les modalités de constitution de la liste des administrateurs ad hoc prévue par ce texte, et leur rémunération, est annoncé de façon imminente.
II. - Qui est-il ?
Comment est-il désigné ?
Dans tous les cas, la désignation de l’administrateur ad hoc émane d’un magistrat, et elle prend la forme d’une décision juridictionnelle. Cette règle s’explique par le fait qu’il s’agit d’une atteinte à l’autorité parentale, ce que l’on a tendance parfois à occulter, animé par la bonne conscience de l’intérêt (« supérieur », même parfois !) de l’enfant. En effet, l’autorité parentale appartient de plein droit aux parents, et son exercice ne peut être contrôlé que par l’autorité judiciaire, dans les conditions limitativement prévues par la loi.
En matière civile, le magistrat compétent sera le plus souvent le juge des tutelles, mais il peut s’agir également de tout juge (ou juridiction) saisi(e) d’une procédure à laquelle le mineur, représenté par ses administrateurs légaux [22], est partie [23], au sens procédural du terme. L’administrateur ad hoc se substituera à l’administrateur légal, pour l’acte ou la procédure visée par la décision le désignant, pour représenter le mineur.
En matière pénale, la désignation peut émaner du procureur de la République, du juge d’instruction ou de la juridiction de jugement (tribunal correctionnel, chambre correctionnelle de la cour d’appel ou Cour d’assises), mais aussi du juge des tutelles, saisi par tout intéressé [24]. Elle peut avoir lieu à tout moment de la procédure, dès le début de l’enquête [25], et jusqu’au jugement définitif.
Dans tous les cas, la décision prend la forme d’une ordonnance ou d’un jugement [26]. Elle doit donc être écrite et motivée par référence aux textes applicables : prise dans le cadre des articles 388-2 ou 389-3 du Code civil, elle doit préciser les circonstances qui caractérisent l’opposition d’intérêts entre le mineur et ses représentants légaux, et dans celui de l’article 706-50 du Code de procédure pénale, celles qui établissent que la protection des intérêts du mineur n’est pas complètement assurée par ses représentants légaux.
En matière civile, elle doit préciser la mission exacte de l’administrateur ad hoc. En matière pénale, la mission est fixée par les termes de l’article 706-50 du Code de procédure pénale, et la décision peut se borner à la simple reprise de ce texte.
Elle doit être notifiée aux représentants légaux du mineur concerné, qui peuvent en faire appel dans un délai de quinze jours en matière civile, et de dix jours en matière pénale [27]. L’appel n’est pas suspensif, ni en matière civile ni en matière pénale.
Qui peut être choisi ?
En matière pénale, l’article 706-51 du Code de procédure pénale prévoit que l’administrateur ad hoc est désigné « soit parmi les proches de l’enfant, soit sur une liste [dont les modalités de constitution sont fixées par l’article R. 53 du même Code] ».
En matière civile, la juridiction peut, « s’il est impossible, dans l’intérêt de l’enfant, de choisir l’administrateur ad hoc au sein de la famille ou parmi les proches du mineur, désigner celui-ci parmi les personnes figurant sur la liste prévue à l’article R. 53 du Code de procédure pénale ». La rédaction de ces textes laisse supposer que le choix d’un proche doit en principe être privilégié [28], sauf si ce choix est contraire à l’intérêt de l’enfant [29], auquel cas le magistrat choisira un professionnel inscrit sur la liste prévue par le décret de 1999. (Ces listes, établies dans chaque cour d’appel, présentent des différences importantes quant aux personnes, physiques et morales, qui y sont inscrites. En particulier, les Conseils généraux, qui étaient souvent chargés de missions d’administrateur ad hoc avant 1999, n’y figurent pas systématiquement. Dans certains ressorts, les avocats ont été par principe écartés). En tout cas, le juge désigne la personne qui lui paraît la plus adaptée à la mission confiée. Par exemple, en matière civile, un notaire pourra être choisi pour un problème de succession, un gérant de tutelle ou un délégué à la tutelle aux prestations sociales pour gérer un capital ou une rente alloué(e) à un mineur, et un juriste pour un litige touchant à la filiation. En matière pénale, la personne désignée dépendra principalement de la conception que se fait le magistrat de la mission de l’administrateur ad hoc.
Jusqu’à quand ?
En premier lieu, rappelons que la décision de désignation est susceptible d’appel, ce qui implique qu’en cas d’infirmation par la cour d’appel, la mission prendra fin dès la notification de l’arrêt de celle-ci.
Il n’apparaît pas inconcevable que la décision soit rapportée par le juge même qui l’avait rendue, s’il estime qu’en définitive les parents (ou l’un d’eux) remplissent normalement leur rôle.
La majorité, l’émancipation ou le décès du mineur mettent fin de plein droit à la mission de l’administrateur ad hoc.
L’administrateur ad hoc peut également refuser la mission ou demander à en être déchargé [30], ou faire l’objet d’une révocation (par exemple, en cas de perte des qualités requises pour être inscrit sur la liste, ou de violation de ses obligations et bien entendu, de certaines condamnations pénales).
En dehors de ces hypothèses particulières, l’administrateur ad hoc chargé d’intervenir pour un acte précis est dessaisi dès l’accomplissement de cet acte. S’il est désigné dans le cadre de l’article 706-50 du Code de procédure pénale, et bien que le texte ne le précise pas expressément, sa mission est limitée à la procédure pénale concernant l’infraction dont le mineur a été victime : elle prendra fin en même temps que celle-ci, c’est-à-dire lorsqu’une décision définitive intervient. Elle inclut l’exécution de la décision rendue, et donc l’encaissement des sommes allouées au mineur par la juridiction pénale et leur placement [31].
En revanche, l’administrateur ad hoc doit en principe demander une nouvelle désignation pour saisir la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions pénales (CIVI) [32], ou pour assurer la gestion des dommages et intérêts jusqu’à la majorité du mineur [33].
Après achèvement de sa mission, l’administrateur ad hoc doit en rendre compte au magistrat mandant, conformément au droit commun en matière civile et, en matière pénale, selon les dispositions spéciales de l’article R. 53-8 du Code de procédure pénale, qui précisent que « dans les trois mois de l’achèvement de sa mission, l’administrateur ad hoc transmet à l’autorité qui l’a désigné [34] un rapport dans lequel sont détaillées les démarches effectuées pour l’exercice de la mission (...) et précisées, le cas échéant, les formalités accomplies en vue du placement des sommes perçues par le mineur à l’occasion de la procédure ». Ce compte-rendu sera en principe accompagné de la demande de paiement de l’indemnité prévue par l’article R. 216 du Code de procédure pénale, applicable tant en matière civile que pénale [35].
Pour quoi faire ?
« Organe épisodique » [36], l’administrateur ad hoc est désigné pour une mission particulière, pour remplacer ponctuellement l’administrateur légal d’un mineur, dont les intérêts sont en opposition avec ceux du mineur ou qui n’assure pas complètement la protection des intérêts de son enfant. En dehors des cas où il est seulement désigné pour un acte unique, il est en toute hypothèse nommé dans le cadre d’une procédure, ce qui exclut qu’il intervienne dans un autre cadre comme celui de l’exercice de l’autorité parentale ou d’une procédure d’assistance éducative.
La mission de l’administrateur ad hoc en matière civile est fixée par la décision. Il s’agira toujours de représenter juridiquement le mineur, c’est-à-dire d’exercer des droits que le mineur ne peut exercer seul : intervenir à un acte juridique ou ester en justice. En cas d’imprécision ou de doute, l’administrateur ad hoc ne doit pas hésiter à demander au juge mandant des précisions.
En matière pénale, les choses sont plus floues.
La loi du 17 juin 1998 prévoit la désignation d’un administrateur ad hoc pour « assurer la protection des intérêts du mineur et exercer, s’il y a lieu, au nom de celui-ci les droits reconnus à la partie civile ». Sur la seconde partie de la mission, les juristes sont en pays connu. Exercer au nom de l’enfant les droits dont disposent les victimes, et que l’enfant ne peut exercer lui-même, en raison de l’incapacité d’exercice qui le frappe, c’est une mission classique de représentation, celle qui incombe normalement aux parents dont l’enfant est victime d’une infraction pénale, et spécialement, en cas de violences sexuelles, il s’agira de :
consentir à l’enregistrement audiovisuel de l’audition du mineur [37] ou à un examen médical [38],
demander que les auditions ou confrontations aient lieu en présence d’une des personnes visées à l’article 706-53 du Code de procédure pénale (en particulier un psychologue ou un médecin spécialistes de l’enfance),
se constituer - ou non - partie civile [39],
demander réparation du préjudice de l’enfant et le chiffrer,
donner le cas échéant son accord pour une correctionnalisation de la procédure,
acquiescer à une décision ou exercer les voies de recours prévues par la loi,
encaisser les dommages et intérêts alloués et les placer, etc.
Le droit de demander à la juridiction pénale le retrait de l’autorité parentale ne semble pas avoir fait l’objet de discussions, étant rappelé qu’en dehors de toute condamnation pénale, l’action en retrait d’autorité parentale est portée devant le tribunal de grande instance soit par le ministère public, soit par un membre de la famille ou le tuteur de l’enfant [40].
Pour les tenants d’une approche rigoureusement juridique, la mission du représentant spécial de l’enfant qu’est l’administrateur ad hoc s’arrête là.
Cependant, la rédaction du texte de la loi - qui reprend les termes de l’ancien article 87-1 du Code de procédure pénale, créé en 1989, et y ajoute « assurer la protection des intérêts du mineur » - oblige à aller plus loin, et à rechercher ce qu’a voulu dire le législateur avec cette formule. L’exposé des motifs de la loi de 1998 révèle seulement que l’administrateur ad hoc « assure l’accompagnement du mineur ». Pour saisir l’esprit de la loi, il est nécessaire de se pencher sur les travaux préparatoires (rapports et débats parlementaires), dont la lecture est éclairante sur les causes des confusions constatées. En effet, le souci de la meilleure prise en compte du mineur en tant que victime avait conduit certains professionnels à préconiser, dans la droite ligne des recommandations du Conseil de l’Europe, la mise en place de structures et de procédures destinées à éviter que la procédure de poursuite des infractions - notamment sexuelles - dont les mineurs étaient victimes aggrave le traumatisme déjà subi. Des juges des enfants et des représentants de parents de victimes avaient donc demandé que soit prévu un accompagnement du mineur pendant la procédure, et notamment les auditions, confrontations, etc. Ils avaient précisé, lors de leur audition par la commission des lois, qu’à leurs yeux cette mission n’est pas celle d’un administrateur ad hoc. Des expériences mises en place depuis plusieurs années par certaines juridictions avaient d’ailleurs été citées [41].
Les aléas et les défauts du processus parlementaire ont abouti à ce texte de compromis qui crée plus de problèmes qu’il n’en résout, malgré les résistances notamment du garde des sceaux de l’époque. Le législateur a donc confié à l’administrateur ad hoc cette mission si peu juridique qu’il a fallu la traduire - ou la déguiser - par la formule « assure la protection des intérêts du mineur » (notion inconnue du civiliste, qui raisonne en termes de représentation).
Le flou de la formule autorise des conceptions, et donc des pratiques divergentes [42], situation contestable au regard de l’égalité des citoyens devant la loi. En ce qui concerne les magistrats, par exemple, très peu de parquets utilisent la possibilité de désigner un administrateur ad hoc dès le début de l’enquête [43], pour accompagner le mineur lors de sa première audition par les services de police ou de gendarmerie, et lors des examens médicaux ou psychologiques qui peuvent être pratiqués à ce stade de la procédure. Cette réticence peut s’expliquer, entre autres raisons, par la difficulté d’apprécier à ce stade de l’enquête la « fiabilité » des représentants légaux, et/ou par le souci de ne pas compliquer ou retarder l’enquête en introduisant un intervenant supplémentaire.
Les pratiques des juges d’instruction sont très diverses : certains désignent systématiquement un administrateur ad hoc à tout mineur victime de faits commis dans le cadre familial au sens large, certains apprécient au cas par cas, souvent après avoir entendu les parents, certains saisissent le juge des tutelles qu’ils estiment mieux à même d’apprécier l’attitude des parents. Certains acceptent, voire encouragent, la présence de l’administrateur ad hoc aux auditions et confrontations [44], d’autres s’y opposent. De même, l’accès direct au dossier de l’administrateur ad hoc est parfois autorisé, alors que l’article 114 du Code de procédure pénale limite ce droit aux avocats. Le moment même de la désignation de l’administrateur ad hoc varie considérablement d’un ressort à l’autre : il n’est malheureusement pas rare que la désignation de l’administrateur ad hoc n’intervienne que devant la juridiction de jugement, et parfois même au stade de l’appel.
Les administrateurs ad hoc eux-mêmes ne sont pas tous sur la mêmelongueur d’ondes : alors que certains se bornentàdésignerunavocatets’en remettent à lui pour toutes les décisions, d’autres ont une conception beaucoup plus active de leur fonction. Pour la majorité, l’administrateur ad hoc doit assurer en premier lieu et au minimum un rôle pédagogique : expliquer à l’enfant ce qui va se passer, qui est qui, qui fait quoi, etc. La plupart assurent l’accompagnement physique du mineur aux auditions, confrontations, et y assistent - sous réserve de l’accord du juge d’instruction - en principe de façon muette [45], aux expertises, aux rendez-vous avec l’avocat, et bien sûr aux audiences devant la juridiction de jugement. Ils soulignent les liens affectifs qui peuvent se créer au fil du temps, et les risques que cela induit. Certains souhaitent organiser une concertation avec les autres intervenants, notamment sociaux [46], d’autres s’y refusent. Tous ne sont pas d’accord sur le point de savoir s’ils doivent entrer en contact avec les parents ou l’un d’eux, et sur le contenu de ces éventuelles relations. Pour quelques-uns, enfin, notamment certaines associations d’aide aux victimes, la mission peut aller jusqu’à la mise en place d’un véritable soutien éducatif et moral, voire psychologique [47]. Tous, en revanche, sont conscients de la nécessité d’une formation spécifique, indispensable pour répondre à des questions qui peuvent être d’ordre juridique, tactique, éducatif ou psychologique. Celle-ci est d’autant plus importante d’ailleurs que le développement et la professionnalisation de la fonction oblige à s’interroger sur sa « qualité » et sur l’éventuelle mise en jeu de la responsabilité des administrateurs ad hoc.
Les risques du métier...
Il n’est bien entendu pas possible de traiter ici de toutes les questions relatives à la responsabilité de l’administrateur ad hoc, d’autant que les solutions sont loin d’être certaines, en l’absence de définition légale de son statut [48] et compte tenu du glissement de cette fonction des questions purement patrimoniales au domaine de l’autorité parentale quant à la personne même de l’enfant. Un certain nombre de points peuvent cependant être précisés.
En premier lieu, la responsabilité pénale de l’administrateur ad hoc ne présente aucune particularité, et elle est régie par les principes généraux applicables à tout un chacun, étant rappelé que les personnes condamnées pénalement ou sanctionnées administrativement ou disciplinairement pour des agissements contraires à l’honneur, la probité ou les bonnes moeurs, ne peuvent être inscrites sur la liste de la cour d’appel.
En ce qui concerne sa responsabilité civile, il paraît possible d’affirmer que si l’administrateur ad hoc désigné par le magistrat est une personne morale inscrite sur la liste de la cour d’appel, la responsabilité civile à l’égard des tiers pèsera sur celle-ci - et non sur la personne physique, qui exerce pour le compte de la personne morale [49]. Bien qu’aucune décision ne soit encore intervenue sur la responsabilité d’un administrateur ad hoc, on peut prévoir que celui-ci répondra de ses fautes [50] conformément au droit commun de la responsabilité, et que ces fautes seront appréciées des tribunaux avec une sévérité accrue dès lors qu’il est rémunéré.
Dans le cadre de sa mission de représentation, les décisions qu’il sera amené à prendre seront d’ordre juridique et tactique. Juridiquement, il doit exercer tous les pouvoirs qui lui sont conférés, et ceux-là seuls. Dans la conception classique, le rôle de l’administrateur ad hoc se limitait à la gestion patrimoniale, et il répondait par conséquent essentiellement de ses fautes de gestion. Dans ce cadre, ses pouvoirs étaient définis par référence à ceux de l’administrateur légal sous contrôle judiciaire, c’est-à-dire à ceux du subrogé tuteur dans la procédure de tutelle [51]. On admettait donc qu’il avait qualité pour accomplir seul tous les actes civils qu’un tuteur peut faire sans autorisation du conseil de famille, et qu’il devait solliciter l’autorisation du juge des tutelles pour les actes les plus graves (autorisation qui d’ailleurs ne fait pas disparaître sa responsabilité [52]). En particulier, il ne pouvait seul renoncer à un droit pour le mineur, et donc acquiescer à un jugement. Dans les missions nouvelles qui lui sont confiées, ces principes peuvent-ils demeurer ?
En effet, le « mandat » judiciaire n’obéit pas aux règles du mandat civil. L’administrateur ad hoc n’est pas le mandataire du juge qui l’a commis, et il ne reçoit pas d’instructions de celui-ci. Le magistrat, spécialement en matière pénale, ne peut s’immiscer dans l’exercice de la mission confiée, qui relève de la seule responsabilité de l’administrateur ad hoc.
C’est l’administrateur ad hoc et lui seul [53] qui détermine l’intérêt de l’enfant, comme le ferait un père ou une mère dans une procédure où il exercerait normalement ses prérogatives d’administrateur légal. Cela ne sera pas toujours simple. En matière civile, par exemple, il devra apprécier si l’annulation d’une reconnaissance entraîne un préjudice pour l’enfant, et former éventuellement une demande de dommages et intérêts contre la mère, « complice » de la reconnaissance de complaisance. En matière pénale, l’intérêt de l’enfant victime de faits commis dans le milieu familial est peut-être plus difficile encore à définir : lui reconnaîtra-t-on « le droit de ne pas se lancer dans l’aventure judiciaire » [54], de pardonner à son parent [55] ? L’administrateur ad hoc pourra bien entendu, comme tout justiciable, se faire conseiller et assister par un avocat, qu’il choisira. (Signalons ici pour mémoire la difficulté de savoir si l’avocat intervenant en matière pénale est celui de l’administrateur ad hoc ou celui de l’enfant, s’il doit défendre ses intérêts ou être son porte-parole, et comment résoudre un conflit sur ces points, questions épineuses qui ne peuvent être traitées dans le cadre du présent article [56]).
En cas de doute, l’administrateur ad hoc peut-il avoir recours à un juge, et dans l’affirmative, lequel ? Le premier auquel on pourrait penser est le juge des tutelles, sur le fondement de l’art 389-5 alinéa 2 du Code civil, mais ce texte ne concerne que l’administration légale, c’est-à-dire les intérêts patrimoniaux du mineur. Le juge des affaires familiales est devenu le juge de droit commun de l’autorité parentale depuis la loi du 8 janvier 1993 qui lui a transféré les pouvoirs autrefois dévolus au juge des tutelles par l’article 372-1-1 du Code civil. Le nouvel article 373-2-6 créé par la loi du 4 mars 2002 : « le juge des affaires familiales règle les questions qui lui sont soumises en veillant spécialement à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs ». Pourrait-il permettre un tel recours ? Ces questions sont aujourd’hui sans réponse. La prochaine réforme annoncée de la minorité sera peut-être l’occasion de retrouver une certaine cohérence, mise à mal par les réformes ponctuelles et dispersées de ces dernières années [57].
Au delà de la lourde responsabilité morale qui pèse sur l’administrateur ad hoc, il est permis de se demander si une mauvaise appréciation de l’intérêt de l’enfant pourrait lui être reprochée par celui-ci ou par les parents [58]. En matière d’accompagnement, les cas où sa responsabilité civile pourrait être engagée sont encore plus difficiles à cerner. Par exemple en cas de suicide d’un enfant, pourrait-on soutenir qu’un meilleur suivi aurait pu l’éviter ?
En tout cas, on ne saurait trop recommander aux administrateurs ad hoc de conserver leurs archives pendant 10 ans après la majorité du mineur, et de contracter une assurance couvrant leur responsabilité civile, étant observé que les risques ne sont évidemment pas les mêmes suivant la conception des missions retenues.
III. - Où va-t-il ?
Si l’on peut, en fonction de sa formation ou de sa sensibilité propre, pencher en faveur de l’une ou l’autre conception de la mission de l’administrateur ad hoc, force est de constater que les textes eux-mêmes permettent de justifier les différentes approches, et que les deux « camps » disposent de solides arguments. Au-delà des oppositions stériles, il apparaît donc indispensable de mener une réflexion pour que chaque intervenant se positionne clairement, et particulièrement les magistrats mandants. La raison d’être du juriste - universitaire ou praticien - est de dire et faire respecter le droit, qui peut se définir comme des règles claires admises par tous. Le rappel des principes, loin d’être une approche dogmatique, est une exigence absolue dans les situations où un enfant est victime d’adulte(s) ; en effet, une telle atteinte constitue une inversion fondamentale de l’ordre du monde et des règles sociales (puisque le rôle de l’adulte est de protéger l’enfant) et se rencontre dans des contextes familiaux et sociaux généralement caractérisés par d’autres désordres quant aux places, aux générations et parfois aux sexes. Lorsque les interdits fondamentaux ont été ignorés ou violés, il est d’autant plus important de combattre les confusions sur le rôle et la place de chacun des professionnels qui vont intervenir. Sinon, comment un enfant victime pourra-t-il se repérer - et donc (re)trouver sa propre place - entre ses parents, sa famille d’accueil s’il est retiré à sa famille naturelle, son (ou ses) éducateur(s), le (ou les) psychologue(s), désigné(s) par le juge pour une expertise ou par un autre intervenant pour un suivi thérapeutique, son administrateur ad hoc, son avocat (ou celui de son administrateur ad hoc ?), etc. ?
Au-delà de cet aspect « éducatif », le respect des droits des enfants et de leurs parents impose la plus grande vigilance. Les enfants ont droit, sinon à un accès direct à la justice, du moins à la compréhension de ses mécanismes, indispensable à la maîtrise de leur histoire. Le respect des familles et de leur place est également essentiel. Tous les parents ne sont pas des monstres violeurs ou complices des bourreaux de leurs enfants. Surtout, l’histoire des enfants et de leur famille ne s’arrête pas à la condamnation éventuelle de l’auteur des actes, leur vie continue ensuite, ensemble ou pas, et de toute façon le lien de parenté demeure. Il faudra donc vivre avec cette blessure, et autant que possible restaurer le lien, ce qui signifie aussi tenter de « réparer » les parents et de leur permettre de jouer leur rôle. Eviter de briser sans retour la famille est nécessaire pour préserver l’avenir. Comme l’écrivait Jean Hauser, « on voit mal comment on pourrait continuer à demander aux parents d’assumer leurs devoirs (sans cesse alourdis) si, à tout bout de champ, on les prive de leurs droits ou on les oppose à leurs enfants » [59].
Une autre raison, plus terre à terre, consiste à rassurer les professionnels sur leur place et leur compétence : les magistrats du parquet et du siège, notamment les pénalistes, ne sont pas nécessairement rompus aux mécanismes de la représentation et des incapacités, les administrateurs ad hoc eux-mêmes, qui ne le sont pas davantage, ne savent pas toujours où ils sont et qui ils sont.
Il apparaît par conséquent indispensable de mettre en place rapidement des procédures pour améliorer le fonctionnement du système. Dans cette optique, il est envisageable de s’inspirer d’expériences existantes [60], et de mettre au point des conventions ou des protocoles, associant les juridictions dans leur ensemble - parquet et siège, juges civils et pénaux - les barreaux, les Conseils généraux, les institutions et les personnes chargées de missions de protection de l’enfance et les associations d’aide aux victimes. La Chancellerie a d’ailleurs lancé une réflexion sur ce point, et recense les actions et les modes d’organisation les plus efficaces en vue de l’élaboration d’un guide de bonnes pratiques relatif à l’accompagnement judiciaire des mineurs victimes d’infractions pénales, recherche qui associe la Direction des affaires criminelles, celle des affaires civiles et la Protection judiciaire de la jeunesse [61].
Cette démarche est d’autant plus urgente qu’il est difficile de croire encore à une réforme législative globale allant dans le sens de la simplification et surtout de la cohérence, en dépit des souhaits des meilleurs auteurs.