Le département : prévention et prise en charge
La protection de l’enfance est désormais définie dans ses tâches : elle « comporte à cet effet un ensemble d’interventions en faveur des mineurs et de leurs parents ». Toujours dispersée au chapitre de l’Aide sociale à l’enfance dans le code de l’action sociale (CASF) et des familles et à celui de l’assistance éducative dans le code civil (CC), elle devra, à l’avenir, tirer son essence des quelques principes intégrés dans le CASF.
D’un intitulé générique, la loi [3] lui attribue désormais la qualité d’institution dont le but est double :
prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives ;
accompagner les familles et assurer, le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle ou totale des mineurs. L’Assemblée nationale a pris soin de préciser que « la protection de l’enfance a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d’assurer leur prise en charge ». Cet ajout a été suggéré par une députée socialiste et soutenu par le rapporteur du projet et le ministre, et vise expressément à apporter une réponse au problème des mineurs étrangers isolés [4].
On ne pourra plus affirmer, comme le fit un précédent Garde des sceaux, qu’« appliquer le droit commun de la protection de l’enfance à ces mineurs et les admettre sans condition serait donner un signal très dangereux aux trafiquants internationaux de toute espèce » [5]. C’est un signal, timide certes, aux services du ministère de l’intérieur et un encouragement aux magistrats qui se sont aventurés à extraire des mineurs des zones d’attente des aérogares pour leur réserver des mesures de protection. C’est également un avertissement à certains départements peu enclins à accorder l’aide sociale aux enfants étrangers [6].
La même disposition affirme que « ces interventions peuvent également être destinées à des majeurs de moins de vingt et un ans connaissant des difficultés susceptibles de compromettre gravement leur équilibre » en ne la limitant pas à ceux ayant précédemment fait l’objet d’un suivi au titre de l’aide sociale à l’enfance, comme le Sénat en avait marqué l’intention en adoptant l’amendement d’une sénatrice socialiste [7]. On peut considérer que dès que le projet sera entré en vigueur, la confirmation du droit des jeunes majeurs à l’aide sociale à l’enfance permettra d’éviter les obstacles qui ont été dressés à sa mise en oeuvre depuis plusieurs années [8].
Enfin, « l’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs, ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant » [9]. C’est beau comme la devise de la République ; on devrait suggérer de l’afficher dans tous les services sociaux.
Les compétences de l’Aide sociale à l’enfance
Les missions de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ne sont pas tant élargies que confirmées, confortées et précisées [10]. Les nuances apparues dans les définitions répondent aussi à l’actualisation du langage :
le « soutien » demeure toujours d’ordre « matériel, éducatif et psychologique » et s’adresse toujours « aux mineurs et à leur famille ». Le texte nouveau a pris soin d’y ajouter « tout détenteur de l’autorité parentale », reconnaissant les diverses formes de délégation qui peuvent se produire ;
l’ASE s’adresse à ceux qui sont « confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social ». Ici, l’évolution est autre qu’une adaptation du langage : la disposition actuelle du CASF prévoit la mission de l’ASE à l’égard de ceux qui sont « confrontés à des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ».
Manifestement, en introduisant le notion de « risque », le législateur a eu l’intention de reculer les limites de la saisine du juge des enfants en investissant le département d’une mission d’assistance même quand la situation eût auparavant été considérée comme un « danger » conduisant normalement à la saisine du juge.
Les difficultés envisagées par la loi nouvelle ne sont plus exclusivement « sociales ». La notion de risque de mise en danger de l’enfant peut-elle être considérée comme une restriction de l’intervention de l’ASE, dans la mesure où on s’en tiendrait désormais à un degré de gravité plus intense et des conditions plus nombreuses pour ouvrir le droit aux prestations sociales ? La nouvelle terminologie peut aussi élargir le champ d’intervention de l’ASE puisque ce qui recouvre le risque autorise beaucoup plus d’interprétations : l’atteinte à la santé, à la sécurité, à la moralité, l’entrave à l’éducation, au développement physique, affectif, intellectuel et social. Le rapporteur du projet à l’Assemblée nationale soutient la seconde hypothèse : « Le gouvernement a donc décidé d’intégrer dans le code de l’action sociale et des familles la notion de mineur en danger qui permettra aux services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) d’intervenir dans des situations beaucoup plus variées, pouvant mettre moralement ou physiquement l’enfant en danger, telles que la grande précarité économique et sociale lorsqu’elle conduit les parents à ne plus pouvoir faire face à leurs responsabilités, l’instrumentalisation de l’enfant dans le cadre d’une séparation parentale très conflictuelle, la maladie grave d’un parent l’empêchant d’assurer pleinement ses tâches éducatives ou encore des difficultés importantes de relations entre parents et enfant quand elles ne peuvent plus être traitées par les seuls moyens classiques d’aide à la parentalité » [11].
Autant dire qu’il ne s’agit que de rappeler les diverses causes pouvant être à l’origine d’une situation de danger pour l’enfant, et qui, dans la plupart des cas font, jusqu’à présent, plutôt l’objet d’un signalement à l’autorité judiciaire que d’une intervention des services départementaux. C’est aussi une incitation des services départementaux à aller en amont des problèmes sociaux.
On peut s’interroger sur ce que sont les « moyens classiques d’aide à la parentalité » mis en place par les pouvoirs publics. Est-ce à dire qu’on serait en passe de pouvoir imposer une aide sous contrainte alors que la compétence du département, hors décision udiciaire, se limite « classiquement » à accorder une aide consentie ? Deux réponses font écho à cette préoccupation : le contrat de responsabilité parentale, dont les termes ne sont guère discutables, destiné à imposer aux familles en cas de « difficulté liée à une carence de l’autorité parentale » [12] et la menace de signalement à l’autorité judiciaire lorsque les actions menées n’ont pas permis de remédier à la situation.
On désengorge le Palais en remplissant l’Hôtel du département. La définition des missions de l’ASE est destinée à admettre en priorité une intervention du service public avant le recours à la contrainte que seul le juge est à même d’imposer. On pourra faire comprendre à « l’usager » qu’à l’aide dite « consentie » succédera une aide « acceptée » sous la menace de recours à la contrainte.
Malgré certaines affirmations dans le rapport parlementaire comme durant les débats, le projet de loi évite toutefois d’introduire clairement dans la loi la notion de subsidiarité de l’intervention judiciaire. Comme nous le verrons plus loin, les modes de saisine du tribunal pour enfant demeurent intacts, même si le texte en discussion exige, avant tout signalement, qu’une action soit entreprise par le service départemental, puisque désormais c’est l’incapacité de celui-ci à faire cesser une situation de danger qui l’habilite à envoyer un signalement à l’autorité judiciaire [13].
Les missions de l’ASE
Elles sont maintenues, voire étendues, notamment :
la prévention : « organiser, dans les lieux où se manifestent des risques d’inadaptation sociale, des actions collectives visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l’insertion ou la promotion sociale des jeunes et des familles », notamment celles « en difficulté ou en rupture avec leur milieu » (14) ;
la protection d’urgence en faveur des mineurs en danger, tel que défini ci-dessus [14] ;
pourvoir à l’ensemble des besoins des mineurs confiés à l’ASE et veiller à leur orientation, en collaboration avec leur famille ou leur représentant légal [15] ;
dans le cadre de sa mission, le service de l’ASE doit désormais « veiller à ce que les liens d’attachement noués par l’enfant avec d’autres personnes que ses parents soient maintenus, voire développés, dans son intérêt supérieur » [16]. Méfions-nous ! L’« intérêt supérieur » est désormais présenté à toutes les sauces, y compris sous forme de pléonasme ;
les actions de prévention des situations de danger à l’égard des mineurs par l’organisation, le recueil et la transmission, des « informations préoccupantes relatives aux mineurs dont la santé, la sécurité, la moralité sont en danger ou risquent de l’être ou dont l’éducation ou le développement sont compromis ou risquent de l’être (...) » [17].
La notion d’« information préoccupante » est nouvellement apparue dans la loi. Elle prend la place des « mauvais traitements » et « correspond à des informations de toute nature qui peuvent constituer des indices de danger pour l’enfant. La transmission n’est donc pas limitée aux informations qui pourraient déclencher un signalement judiciaire : elle englobe celles qui constituent un motif de préoccupation pour le professionnel concerné mais qui demandent à être recoupées ou approfondies par le biais d’une enquête sociale » [18].
Il ne s’agit pas, en principe, de définir la notion de « danger » justifiant la saisine du juge des enfants dans le cadre de l’assistance éducative, ni même de l’élargir. Il s’agit de justifier la transmission à l’ASE « d’informations permettant d’évaluer la situation et de déterminer les actions de protection et d’aide dont ce mineur et sa famille peuvent bénéficier », selon le rapporteur qui évoque un rapport de l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED) souhaitant qu’on évite les confusions pouvant exister entre les informations qui doivent parvenir à l’autorité judiciaire et celles qui sont destinées au service départemental : « nous parlerons d’information préoccupante ou inquiétante au sens littéral du terme, pour nommer tout élément d’information susceptible de laisser craindre qu’un enfant puisse avoir besoin d’aide. Cette information peut émaner de sources multiples. Dans certains cas, c’est le regroupement d’informations partielles et hypothétiques qui conduit à déclencher une investigation plus approfondie de la part des services sociaux ou de PMI » [19].
En fin de compte, on peut considérer que le regroupement d’ « informations préoccupantes » relatives à des « difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social » par une cellule départementale, élargit le champ d’action de l’ASE dont l’objectif est désormais d’intervenir en première ligne.
Les prérogatives du département
La disposition la plus innovante, qui place vraiment le département à la place de pilote du dispositif, consiste à confier au président du conseil général la charge de recevoir en priorité et de traiter les « informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être » (21), même s’il est prévu que le représentant de l’État dans le département et l’autorité judiciaire lui apportent leur concours, notamment en établissant des protocoles avec les « partenaires institutionnels concernés » en vue de centraliser ces informations au sein d’une cellule départementale. Ce n’est qu’au terme d’une « évaluation individuelle » qu’une « information préoccupante » peut faire l’objet d’un signalement à l’autorité judiciaire. Le président du conseil général peut aussi « requérir la collaboration d’associations concourant à la protection de l’enfance » (22), moyennant le respect de la confidentialité des informations recueillies. Il est également informé par le procureur de la République des signalements adressés à l’autorité judiciaire [20].
Le président du conseil général a désormais sous son autorité un « observatoire départemental de la protection de l’enfance » [21] chargé de recueillir, d’examiner et d’analyser les données relatives à l’enfance en danger, au regard notamment des « informations préoccupantes » rendues anonymes. Il est informé de toute évaluation des services et établissements intervenant dans le domaine de la protection de l’enfance et suit la mise en oeuvre du schéma départemental en tant qu’il les concerne [22]. Il formule des propositions et avis sur la mise en oeuvre de la politique de protection de l’enfance dans le département Rappelons que depuis l’entrée en vigueur de la loi du 13 août 2004 [23], le schéma départemental d’organisation sociale et médico-sociale est adopté par le conseil général « après concertation avec le représentant de l’État dans le département et avis du comité régional de l’organisation sociale et médico-sociale » et non plus conjointement comme auparavant.
Même s’il est composé des représentants des services du conseil général, de l’autorité judiciaire, des autres services de l’État ainsi que des représentants des services, établissements et associations qui apportent leur concours à la protection, on ne peut assurer que cet organe soit le garant indépendant du respect par le département des règles adoptées par la représentation nationale, puisqu’il reste sous l’autorité du conseil général. D’ailleurs, le texte limite la portée de l’intervention de l’observatoire à une d’avis et à l’établissement de statistiques.
La présence d’un observatoire dans chaque département devrait rendre plus cohérents les chiffres communiqués à l’ONED. Les remarques qu’il sera appelé à formuler sur les évaluations des pratiques des établissements et services d’accueil pourront inciter les conseils généraux à les prendre en compte pour l’élaboration des schémas départementaux et, à terme, à réduire les disparités existantes entre les territoires. Le président du conseil général s’entend confirmé dans son rôle d’exécutant des mesures d’assistance éducative, avec une grande latitude : il « organise, sans préjudice des prérogatives de l’autorité judiciaire, entre les services du département et les services chargés de l’exécution de la mesure, les modalités de coordination en amont, en cours et en fin de mesure, aux fins de garantir la continuité et la cohérence des actions menées » [24]. Le texte, reconnaissant le maintien des prérogatives du juge des enfants - et du juge aux affaires familiales - ne modifie pas la façon dont sont prises les décisions relatives à la prise en charge du mineur confié et les obligations qui incombent au département en exécution de la décision judiciaire. On demeurerait dans le cadre actuel de l’assistance éducative dès lors que le juge confie un enfant à l’ASE et de la jurisprudence traditionnelle selon laquelle le juge peut assortir la mesure de modalités particulières, notamment celles indiquées à l’article 375-2 du code civil telles « que celle de fréquenter régulièrement un établissement sanitaire ou d’éducation, ordinaire ou spécialisé, ou d’exercer une activité professionnelle ». Le choix de l’établissement, de la famille d’accueil ou l’accompagnement par une mesure d’AEMO [25] devraient demeurer une prérogative du département dès lors que l’enfant a été confié à l’ASE par le juge. Celui-ci demeure seul compétent pour fixer les modalités des rapports de l’enfant avec sa famille : il fixe « la nature et la fréquence des droits de visite et d’hébergement des parents et peut décider que leurs conditions d’exercice sont déterminées conjointement entre le service et les parents (...) » [26] dans le cadre du « projet pour l’enfant » conclu entre le département et les représentants légaux [27].
Si l’expérimentation prévue par la loi du 13 août 2004 [28], dans le cadre d’une plus grande décentralisation, avait pu se produire et récolter un bilan satisfaisant, il est probable que le service de l’ASE se serait entendu confirmé « seul compétent pour assurer la mise en oeuvre des mesures prises par les magistrats » et que soit retiré au juge la faculté de confier des enfants à des tiers dignes de confiance ou à des établissements habilités. Toutefois, le peu d’empressement des départements à se porter candidats à cette expérience et les lenteurs imposées par le ministère de la justice pour conclure les conventions avec les cinq volontaires n’ont pas encouragé le gouvernement à proposer le nouveau partage de compétences entre le juge et le conseil général dans le domaine de l’assistance éducative.
L’extension des compétences du département
La consécration du président du conseil général en qualité de « pilote » de la protection de l’enfance s’accompagne de nouvelles prérogatives mises à la disposition du service départemental ou la confirmation d’attributions.
Un autre rôle pour la PMI
Le renforcement de l’autorité du président du CG sur le service de protection maternelle et infantile (PMI) se manifeste notamment par son inscription dans les dispositions au code de l’action sociale et des familles (CASF) et la précision des missions dans le code de la santé publique (CSP) [29]. Selon les termes de la nouvelle disposition, le président du CG est désormais chargé « d’organiser » le service alors que, jusqu’à présent il en exerçait « l’autorité », tandis qu’un médecin en avait « la responsabilité », ce qui ne va pas sans causer quelques inquiétudes parmi les praticiens [30].
Outre les consultations prénuptiales, prénatales et postnatales, les actions de prévention en faveur des femmes enceintes et les consultations et des actions de prévention médico-sociales en faveur des enfants de moins de six ans, les départements sont désormais tenus d’établir « un bilan pour les enfants âgés de trois à quatre ans, notamment en école maternelle », des actions d’accompagnement en faveur des femmes enceintes « si celles-ci apparaissent nécessaires lors d’un entretien systématique au cours du quatrième mois de grossesse, et pour les enfants », des actions médico-sociales préventives et de suivi pour les femmes en période post-natale et pour les pères, à la maternité ou à domicile, moyennant l’accord des intéressés et des « actions de prévention et de prise en charge des mineurs en danger ou qui risquent de l’être ». Sur ce dernier point, les médecins et praticiens de la PMI se sont inquiétés du rôle que le nouveau texte devrait leur faire jouer et de la transformation de leur responsabilité en acteurs « généralistes » de la santé publique en acteur « de la prévention des difficultés » qui ne relèvent pas de leur activité professionnelle, celle-ci ne pouvant s’exercer que moyennant la confiance que les familles leur accordent [31].
Le service de la PMI est également mis à contribution pour les « actions de prévention et de dépistage des troubles d’ordre physique, psychologique, sensoriel et de l’apprentissage. Il oriente, le cas échéant, l’enfant vers les professionnels de santé et les structures spécialisées ». L’Assemblée nationale a pris soin de radier le terme « précoce » qui qualifiait le trouble afin que l’intention du législateur de la protection de l’enfance ne soit pas confondue avec la sienne lorsqu’il examine le texte relatif à la prévention de la délinquance [32]. Le législateur a également prévu un « bilan de santé pour les enfants âgés de trois à quatre ans, notamment en école maternelle ».
La médecine scolaire, dépendant du ministère de l’éducation nationale devrait prendre le relais à l’école primaire et au collège : « au cours de leurs sixième, neuvième, douzième et quinzième années, tous les enfants sont obligatoirement soumis à une visite médicale au cours de laquelle un bilan de leur état de santé physique et psychologique est réalisé. Ces visites ne donnent pas lieu à contribution pécuniaire de la part des familles » [33].
Le recueil des signalements
Désormais, les personnes qui mettent en oeuvre la politique de protection de l’enfance ainsi que celles qui lui apportent leur concours [34] « transmettent sans délai au président du conseil général ou au responsable désigné par lui, toute information préoccupante sur un mineur en danger ou risquant de l’être (...) ». Le président du conseil général devient le réceptacle des « informations préoccupantes » [35] recueillies par toute personne impliquées dans une action ayant « pour but de prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives, d’accompagner les familles et d’assurer, le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle ou totale des mineurs » [36]. Le projet précise que la transmission de ces informations « a pour but de permettre d’évaluer la situation du mineur et de déterminer les actions de protection et d’aide dont ce mineur et sa famille peuvent bénéficier. Sauf intérêt contraire de l’enfant, le père, la mère, toute autre personne exerçant l’autorité parentale ou le tuteur sont préalablement informés de cette transmission, selon des modalités adaptées ».
Destinataire des informations, le président du conseil général devient également juge de l’intérêt de l’enfant et de la capacité des parents à recevoir l’information. Cette disposition constitue une entorse au dispositif créé par la loi 2002-2 rénovant l’action sociale et médico-sociale. Elle ne devrait pas s’opposer au principe selon lequel « les autorités sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande » [37].
La garantie des droits de l’usager des établissements et services dont peuvent dépendre les « informateurs » passe par la confidentialité et l’accès à « toute information ou document relatif à sa prise en charge, sauf dispositions législatives contraires » [38]. Le projet adopté introduit une telle disposition, sans pour autant garantir de quelle façon le parent, considéré comme usager de l’ASE, pourra faire valoir ses droits à prendre connaissance des informations qui sont à l’origine de la mise en oeuvre de l’accueil ou l’accompagnement social de l’enfant et de sa famille. Il ne faut pas omettre que, hors l’intervention judiciaire, toute décision prise dans le cadre de la protection de l’enfance ne peut être prise sans l’accord écrit des représentants légaux. Il se conçoit dès lors que la « négociation » de la mesure avec le département ait lieu en connaissance de cause, en présence de tous les éléments du dossier, étant donné que le président du conseil général est chargé « (...) du traitement et de l’évaluation, à tout moment et quelle qu’en soit l’origine, des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être » [39].
Les informations sont centralisées dans une « cellule opérationnelle » [40] dont l’organisation est prévue en concertation avec le représentant de l’État (le préfet) et l’autorité judiciaire [41]. Le texte n’est pas plus précis sur l’intervention de ces autorités dans l’organisation de la cellule. Si l’on peut comprendre que l’autorité judiciaire (parquet des mineurs et juge des enfants) soient associés à la création d’un organe qui est destiné à leur communiquer les signalements, on s’interroge sur le rôle de l’autorité préfectorale dans la mesure où il ne s’agit pas de gérer l’ordre public ni participer au contrôle des établissements et services. « Les services publics, ainsi que les établissements publics et privés susceptibles de connaître des situations de mineurs en danger ou qui risquent de l’être, participent au dispositif départemental. Le président du conseil général peut requérir la collaboration d’associations concourant à la protection de l’enfance ». On doit bien reconnaître que cette disposition établit une sorte de « pouvoir de réquisition » du président du conseil général à l’égard des acteurs de la protection de l’enfance dans le département pour recueillir et traiter les informations uniquement destinées à assurer les missions ainsi définies : « mener, notamment à l’occasion de l’ensemble de ces interventions, des actions de prévention des situations de danger à l’égard des mineurs et, sans préjudice des compétences de l’autorité judiciaire, organiser le recueil et la transmission, (...), des informations préoccupantes relatives aux mineurs dont la santé, la sécurité, la moralité sont en danger ou risquent de l’être ou dont l’éducation ou le développement sont compromis ou risquent de l’être, et participer à leur protection » [42].
Le caractère vague de la disposition laisse une grande latitude aux départements pour l’organisation de cette cellule. L’évaluation de son action est confiée à l’appréciation de l’observatoire départemental. La cellule peut être regardée comme une gare de triage et d’orientation dans la mesure où les informations recueillies de part et d’autres permettront de déterminer une situation de danger avérée.