Un statisticien du ministère des Finances, Pascal Gobry, au travers d’un livre L’enquête interdite - Handicapés : le scandale humain et financier, dénonce les dysfonctionnements, les dérives, l’affairisme des CAT où régneraient, selon lui, l’omerta et le non-droit. Nous avons rencontré Gérard Zribi président de l’association nationale des directeurs de CAT (1) pour lui demander ce qu’il pensait de ces accusations.
« On ne peut qu’être inquiet sur l’état d’exaltation mentale et d’irrationalité de Pascal Gobry qui l’amène à multiplier les confusions et les contre-vérités. Faut-il rappeler que les établissements de travail protégé assurent un droit à l’emploi à des personnes motivées et aptes à travailler mais dont le handicap les rend inemployables car peu rentables d’un point de vue strictement économique, au regard des entreprises.
Faut-il avoir un certain niveau de rendement pour avoir droit à un emploi protégé ou aidé ? Si l’on répond par la négative, on comprend alors que le salaire (avant la compensation salariale assurée par l’État) ne soit que de 13 % du SMIC dans les CAT et de 50 % dans les ateliers protégés en moyenne nationale. Bien entendu, l’État assure un complément de rémunération et une allocation adultes handicapés à taux partiel, ce qui porte les ressources, approximativement au niveau du SMIC ; il s’agit d’un revenu insuffisant, certes, pour vivre avec un handicap ! Mais où a-t-on noté dans l’ouvrage de Pascal Gobry que la collectivité devrait accroître son effort afin que les personnes handicapées aient des revenus suffisants pour s’intégrer socialement et vivre dignement ? Il nous revient à ce propos que l’administration de tutelle de l’auteur s’est toujours beaucoup activée pour réduire les ressources des personnes handicapées.
Monsieur Gobry a-t-il consulté le rapport d’un inspecteur des finances, dit rapport Estéva (1983) qui a inspiré l’abattement d’environ 25 % des ressources des travailleurs handicapés à partir de 1990, en échange d’un plan pluriannuel de places de CAT, ce qui a mis bon nombre d’entre eux en grande difficulté matérielle ? Est-ce si difficile pour Monsieur Gobry de contester les décisions de sa hiérarchie, lorsqu’elles ont pour effet de provoquer des dégats humains, de l’insécurité sociale et de la ségrégation ?
A propos du financement des CAT, Pascal Gobry parle de subventions énormes versées par l’État ; la faiblesse de l’argument est encore une fois remarquable. Sait-on que le coût annuel moyen d’une place de CAT pour l’État est de 10 000 euros ? Nous sommes bien éloignés du coût d’un chômeur ou mieux, des subventions accordées à de nombreuses entreprises pour le maintien ou la création d’emplois ou mieux encore pour faire face aux pratiques financières de grandes entreprises où étaient représentés dans les conseils d’administration les collègues de Monsieur Gobry. Contrairement à ce qu’il affirme, les CAT n’ont pas une mission de placement de leurs employés dans le milieu ordinaire de travail. Ils proposent en effet à ceux qui ne peuvent momentanément ou durablement travailler en milieu ordinaire, un emploi adapté et des soutiens psychosociaux favorisant la sociabilisation et l’insertion sociale. L’assertion selon laquelle l’absence de formation professionnelle, les contraintes institutionnelles et l’appartenance sociale font que les travailleurs handicapés sont confinés dans un milieu protégé relève, en ce qui concerne les CAT, de l’absurdité.
Acceptera-t-on enfin de reconnaître les infirmités et les handicaps et la nécessité de créer des structures et des services spécialisés ? Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que 90 % des employés sont des handicapés mentaux et psychiques et que pour bon nombre d’entre eux (entre 20 et 30 %) les CAT ont servi d’alternative à l’hospitalisation psychiatrique ou à d’autres structures de santé mentale ? Soutenir, comme le fait Pascal Gobry, que les responsables du milieu protégé ont tendance à freiner l’intégration professionnelle en milieu professionnel ordinaire équivaut non seulement à méconnaître les besoins et les limites des populations concernées mais aussi les exigences de l’environnement économique (externalisation des productions, sous-traitances internationales, sélectivité toujours accrue des personnels, etc.) qui laissent peu de place aux publics défavorisés et handicapés.
Les CAT à côté d’autres formes d’emplois aidés, sont des moteurs d’intégration sociale pour les personnes handicapées. Le Bureau international du travail dans l’une de ses publications récentes ainsi que des spécialistes européens reconnus comme Lisa Waddington, reconnaissent ainsi l’utilité du rôle du travail protégé : véritable acteur économique, celui-ci est et restera pour les handicapés mentaux affirme le BIT, une des seules voire la seule opportunité de participation à la vie économique.
ANDICAT (Association nationale des directeurs et cadres de CAT) a, depuis plusieurs années et sans succès, demandé aux pouvoirs publics d’établir un état des lieux quantitatif et qualitatif des CAT et des besoins de leurs employés ; c’est dommage que cela ne se fasse pas car on observerait que les réponses françaises en matière d’emplois adaptés sont parmi les meilleures d’Europe ; on disposerait également d’une meilleure visibilité des améliorations qu’ANDICAT appelle de ses voeux : un statut juridique des employés handicapés plus adéquat que celui (actuel) d’usagers d’établissements sociaux ainsi qu’une élévation de leurs ressources dont le niveau fixé non par les CAT mais pour la plus grande part par l’État, gêne sérieusement une intégration dans le domaine de l’habitat et de la vie sociale...