Le social a subi au cours de ces dernières décennies de profondes mutations. Le dernier projet de décentralisation en date - qui sera peut-être voté au moment de la parution de ce numéro - constituera probablement le dernier acte d’une réforme sans précédent. En approchant le social sur le plan du local, qu’il soit départemental ou régional, il nous faut considérer la question sous l’angle de la multiréférentialité si l’on ne veut pas l’atomiser en une myriade d’objets.
Employant à grands renforts la complémentarité des objets qui le composent, il n’en restera pas moins que le social, une fois pulvérisé, perdra sa fonction essentielle (c’est-à-dire par essence) qui est de relier les être entre eux. Est-il besoin de rappeler ici que la complémentarité trouve son fondement dans l’unité. Moyennant quoi le social est plus morcelé que constitué de parties dont on pourrait penser qu’elles pourraient être idéalement constitutives d’un tout que certains nomment social. Si un tel paradigme peut être soutenable idéologiquement, il ne saurait l’être sur le plan scientifique ou politique, l’unité sociale restant à définir.
Dès lors, quels peuvent en être les impacts directs ou indirects pour les intervenants du social et ce, quel que soit leur métier ? L’objet que constitue le social n’est la propriété de personne sinon de tous ceux qui le composent. C’est à ce titre qu’il doit se trouver placé sous le signe de la dialectique, à savoir qu’« assumant pleinement l’hypothèse de la complexité, voire de l’hyper complexité, de la réalité à propos de laquelle on s’interroge, l’approche multiréférentielle » constitue à cet égard « une lecture plurielle de ses objets (pratiques ou théoriques), sous différents angles, impliquant autant de regards spécifiques et de langages, aux descriptions requises, en fonction de systèmes de références distincts, supposés, reconnus explicitement non-réductibles les uns aux autres, c’est-à-dire hétérogènes. (dans le champ des sciences de l’homme et de la société.) » [1].
Le dossier que nous vous proposons ici a été construit sur trois plans.
Le premier se présente sous la forme d’une photographie des mutations qui affectent l’appareillage institutionnel de l’intervention sociale. G. De Ridder nous dresse un point de vue réaliste des diversités auxquelles les professions du social sont aujourd’hui confrontées. M-C. Llorca témoigne de la violence symbolique qui est exercée par l’usager. Fabriqué par les nouvelles réglementations sociales, l’usager exerce son emprise sur le sujet que l’on devine en arrière-plan de chacune des personnes tant pour lui-même que pour l’intervenant social. M. Perrier pour sa part, nous invite à mener une réflexion sur les conséquences managériales compte tenu des enjeux contemporains. Bien qu’écrit en filigrane, la multiréférentialité est dans ce contexte le point d’appui sur lequel une lecture complexe peut être réalisée. C’est à ce titre qu’E. Weber nous familiarise avec cette lecture du complexe et enfin que J. Papay nous fait partager les difficultés techniques que suscite l’accompagnement du projet d’établissement pour conclure ce balayage de l’appareillage institutionnel.
Le deuxième plan attire notre attention sur le morcellement du social dans ses rapports sociaux. Tout d’abord B. Barilero et S. Genest déclinent les enjeux propres à l’accompagnement dans la régulation des rapports locatifs. C. Deckmyn nous dessine le contour d’un terrain miné par la sphère idéologique et non par une investigation rigoureuse des problématiques en prenant appui sur l’inégalité Homme / Femmes dans la politique de ville (telle qu’elle a pu l’aborder dans le cadre d’une étude qui lui a été commanditée par la Délégation interministérielle à la ville, 2000-2006). M. Boucher boucle le sujet par la surdétermination avec laquelle la politique sociale des quartiers dits difficiles est conduite par des représentations qui généralisent des comportements qui restent heureusement le plus souvent marginaux ou conjoncturels et non structurels. Enfin, S. Condro aborde tout le tragique du vécu des travailleurs immigrés retraités d’une grande métropole.
Le troisième plan (« Quand ça se manifeste ») a été constitué de morceaux choisis venant témoigner de la manière avec laquelle les ruptures paradigmatiques sur le plan politique ne sont pas sans effets sur le réel. Le morcellement que vit aujourd’hui le social n’est pas une vue de l’esprit. Il s’actualise dans chacun des micro-séismes qui affectent notre quotidien. A la manière d’un retour du refoulé, les crises sociales ne sont que le témoignage de ce qui n’a pas été symbolisé, verbalisé ou dépassé. C’est d’ailleurs sur ce plan, très précisément, que les travailleurs sociaux ont légitimité à occuper leur fonction sociale.