On assiste dans la presse écrite à une accumulation de textes portant sur les manques ou carences éducatives des jeunes des banlieues et mettant en cause une approche humaniste et démocratique de cette éducation, telle qu’elle serait censée se présenter en France (texte paru dans Libération de MD.Gaulbert ; article du Monde diplomatique de ce mois concernant une soi-disant dérive socio-éducative de l’Ecole).
On connaît les discours sentencieux et traditionnels concernant le manque de potentiel démocratique des « nouveaux élèves » des collèges et lycées en provenance des quartiers ; on sait combien ce public choque tout un corps enseignants qui se plaisait à « balancer » des cours magistraux et qui du coup, par amertume, se plaît à dénoncer l’air du temps. Il est par contre beaucoup plus grave (et c’est ce à quoi nous assistons) de passer du discours nostalgique à la dénonciation de la jeunesse des quartiers, d’une soi-disant hostilité des élèves d’aujourd’hui vis à vis des institutions démocratiques et les fondements de « notre » société.
Il semble échapper complètement à ces « penseurs » de l’éducation qui (au mieux) ne connaissent pourtant que des élèves en fin de parcours scolaire et soigneusement triés, ce que les enfants et les jeunes des quartiers ont à subir tout au long de leur scolarité depuis leur entrée au collège, parfois dès les classes primaires : image dégradée de leur milieu, de leurs compétences, de leur bagage culturel, de leur langage, de leurs goûts... Le mépris de l’institution scolaire pour les jeunes d’aujourd’hui est à tous les étages.
Il est dommageable que ces « penseurs en chambre » ne soient pas en mesure d’aller plus loin dans le dialogue avec les jeunes ; ils découvriraient alors pas mal de blessures, d’espoirs déçus et pourtant sincères que ceux-ci avaient placé dans l’école et leurs maîtres. Il suffit d’interroger presque n’importe quel collégien ou lycéen et de prendre le temps de les écouter sans les reprendre ni les interrompre, pour s’en rendre compte. La preuve est à la portée et sous la responsabilité de chacun.
Alors que signifie cet énième retour des discours passéistes, sécuritaires, républicanistes, qui déferle actuellement sur nous depuis les attentats du 11 septembre ? Et surtout comment saurons-nous résister au danger que constituent de tels discours ? Non, ceux qui les tiennent ne sont pas courageux, ils vont dans le sens de la répression, de l’air du temps, de la peur du monde d’aujourd’hui, des discours ambiants de salles de profs. Mais par contre, ils contribuent, consciemment ou non, à ce que les jeunes d’aujourd’hui et particulièrement ceux issus de l’immigration maghrébine se sentent exclus, rejetés... Bref, ils nous préparent (même s’ils s’en défendent) l’apartheid et les « intifadas » de demain...
Aujourd’hui, nous devons faire face aux messages insidieux qui voudraient nous faire croire que les modèles démocratiques de droit à la parole, à l’expression, au débat, à la prétention de faire vivre et changer les institutions, en fin de compte, ne conviendraient pas à la supposée nature ou culture de la jeunesse « des quartiers » mais, qu’au contraire, celle-ci aurait curieusement besoin de repères rigides et coercitifs. Il faudra lutter contre la traduction de ces théories racistes latentes au travers des lois et des arrêtés que nous subissons (interdictions de regroupements et arrêtés de couvre-feux, droits de fouilles qui visent en premier lieu... les jeunes des quartiers défavorisés).
Bref, face à l’encouragement actuel à la fabrication de la « haine » auquel nous assistons, il convient de renvoyer à la réalité vécue par les jeunes et les enfants des quartiers, telle que la rencontrent les éducateurs qui y travaillent volontairement et résolument.
« Non, non et non », comme peuvent en témoigner par exemple des centaines d’enseignants de la mouvance Freinet, il n’est nul besoin d’être ceinture noire de karaté pour travailler dans les quartiers dits difficiles, il suffit d’avoir le courage d’entendre ce que les jeunes ont à dire et celui, plus grand encore de reconnaître leurs compétences réelles et nouvelles. Et on découvre alors des enfants et des adolescents qui aiment apprendre et travailler et qui le font avec passion, n’en déplaise à ceux qui campent sur leur mépris culturel ! L’école et les éducateurs d’aujourd’hui n’ont pas tant besoin de Vigie Pirate que de libertés et de moyens pour éduquer.
Quant à ceux qui trouvent que notre système scolaire souffrirait d’un trop plein de démocratie gaspillé pour des « sauvageons », ils n’ont visiblement jamais fréquenté une réunion de parents d’élèves dans un collège de banlieue...
Quitte à dire que notre société souffre d’un déficit du droit en relation avec « les problèmes des quartiers », on peut en premier lieu trouver dommage que les producteurs de ces discours ne soient pas plus souvent assignés en justice pour propagation d’une image péjorative des milieux les plus défavorisés.